Gare au train-fantôme
Grand huit ? Train-fantôme ? La bourse a ceci de commun avec le lunapark que l’on paie pour se faire peur. La comparaison s’arrête là, car les secousses de la finance font mal pour de bon.
La plupart des joueurs, particuliers ou assurés des caisses de pension, ont vu, depuis 2008, leur patrimoine en actions, méchamment écorné. Ils avaient cru, l’an passé, que tout repartait comme avant. Et vint la glaciale douche de l’été.
Dociles et fatalistes, ils n’en veulent pas trop à leur banque. Pourtant, la méfiance s’installe en douce. On écoute d’une autre oreille ces conseillers proprets qui étalent leur sourire rassurant sur les pubs. On n’en est pas à les traiter de “salopins de la phynance” comme dans “Ubu Roi”, mais la grogne rôde…Ils ont vendu tant de fonds dits sans risques qui ont néanmoins pris l’eau. Du coup surgit la question: ces gentils interlocuteurs ne pensaient-ils pas plus à leur propre intérêt qu’à celui de leurs clients ? Après tout, les commissions sont prélevées à la vente comme à l’achat, et des petits malins, dans le système, gagnent à la baisse comme à la hausse.
Les analystes et autres stratèges, avec leur mine savante, se sont trop souvent trompés. Simple exemple: fin juin, à Lausanne, l’un des plus prolixes d’entre eux, qui parlait beaucoup de la Grèce et peu des Etats-Unis, prévoyait “un potentiel haussier, pas spectaculaire, mais attractif”. Le même établissement pronostiquait une remontée de l’euro face au franc suisse jusqu’à 1,30 franc. C’est beau, l’optimisme.
Dès lors on se demande, dans les familles, s’il ne vaudrait pas mieux privilégier le bas de laine, l’or ou la pierre. Signe des temps: peu avant l’effondrement de 2008, un des jongleurs financiers genevois les plus avertis vendait toutes ses affaires et achetait… un domaine agricole dans la plaine du Rhône !
Les promesses et les retournements de la bourse ont échaudé trop d’épargnants. Les plus gros ne quittent pas la partie, mais les petits sont en plein désarroi et ce ne sont pas les discours pontifiants des experts de la macro-économie qui les rassurent.
Quant aux clients étrangers des banques suisses, ils ne sont pas de meilleure humeur. Les planqués du fisc, hier attirés par des courtiers qui leur juraient que le secret bancaire serait aussi pérenne que le granit des Alpes, sont lâchés aujourd’hui et traités comme de misérables tricheurs. Les Américains qui avaient fait confiance aux bonimenteurs s’en mordent les doigts, chassés de Suisse ou livrés aux juges de leur pays. Les Allemands calculent combien leur coûtera l’accord en vue entre Berne et Berlin. Ce sera salé. Les gagnants ? Ce sont d’abord les banquiers eux-mêmes qui n’auront plus à craindre les poursuites pénales pour leurs pêches outre-Rhin. Mais ces messieurs hésiteront encore longtemps à passer leurs vacances aux Etats-Unis: les suspicions, de ce côté-là, restent vives et la police du fisc n’y badine pas. Or la vieille UBS n’était pas seule à détourner les lois.
La banque de l’avenir, propre et performante, que promettent les dirigeants d’aujourd’hui rétablira-t-elle la confiance ? Il y faudra plus que de belles paroles: un retour convaincant à la mission de base, le financement de l’économie réelle.
Pas facile dans cet environnement où la planète finance tourne sur elle-même dans un nombrilisme auto-destructeur. Ses gourous ont raison de rappeler que trop d’Etats et de particuliers ont abusé de la dette. Mais qu’ils ne se posent pas en sages. Les “marchés” sont aussi coupables: ils ont prêté les yeux fermés, et même poussé à la roue. Et ils font payer maintenant les défaillances par les pouvoirs publics.
Les acteurs de ce théâtre donnent des leçons de réalisme alors qu’ils vivent dans la fiction de de leurs échafaudages stériles. Ils feignent d’agir en calculateurs rationnels, appuyés sur leurs batteries d’ordinateurs, alors qu’ils se laissent emporter par les excitations du moment. Meute maniaco-dépressive, basculant entre euphorie et désespoir. Nourrie en fait par les envolées et les glissades. Fascinée par l’abîme qui permettrait de nouveaux rebonds juteux aux plus habiles.
Même si le train-fantôme ne s’écrase pas, les badauds, désormais, y regarderont à deux fois avant de s’y embarquer.
Merci M. J. Pilet. Tout est juste; le ton, les mots, l'esprit. Votre indignation me conforte.
On échange des monnaies fortes contre monnaies faibles, sans compensation. Marché de dupes.
On spécule sur le bien d'autrui sans demander avis et avec des effets de levier considérables. Est-ce la liberté du libéralisme ?
On vend des produits dérivés "synthétiques" déconnectés de la réalité.
On prête à n'importe qui et, la mine contrite on feint d'être responsable quand on est irresponsable !
Je note quand même que lorsque M. Hildebrand de la BNS fait preuve de fermeté, les financiers de haut vol se font humbles. Que nos Autorités aient le courage de les affronter.
Bien amicalement. La Pernette
Rédigé par : Pernet Jean-Jacques | 22 octobre 2011 à 17h43